Homélie 10ième dimanche de Pâques

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Vous l’aurez peut être remarqué, c’est le premier dimanche depuis bien longtemps où je suis en ornements verts. Il y a eu les 40 jours de carême en violet, puis les 50 jours de temps Pascal en blanc, puis après le temps Pascal, nous avons fêter successivement toujours en blanc, le mystère de la Trinité et le mystère du saint sacrement du Corps et du Sang du Christ dimanche dernier. C’est donc le premier dimanche depuis le 11 février, soit presque 4 mois, que je revêts un ornement vert, signe du temps ordinaire.

Qui dit « temps ordinaire », ne dit certainement pas, « ralentissement dans mon chemin de conversion ». Bien au contraire : si nous venons de vivre la dynamisation du carême et du temps Pascal, c’est pour que notre désir quotidien de conversion soit encore plus déterminé !

Vraiment, frères et sœurs, prenons exemple sur les juifs pieux qui, chaque matin que Dieu leur donne de vivre, disent de tout leur cœur ce verset de la Torah, plus précisément dans le livre du Deutéronome chapitre 6, verset 4 : « Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. Ces paroles que je te donne aujourd’hui resteront dans ton cœur ».

Et quant j’entends ces verset, j’entends en écho sainte Thérèse d’Avila dire à ses novices : « Eh quoi, le monde est en feu (…) ce n’est pas le moment de traiter avec Dieu d’affaires peu importantes ». Face à tant de combats dans le monde, répondons non par le découragement ou le replis sur nous-mêmes, mais par une détermination redoublée à devenir les saints que Dieu veut offrir à ce monde pour le sauver. Oui, Dieu sait mieux que moi comment m’offrir le plus efficacement à ce monde déboussolé. Alors, laissons le faire mais pour cela, soyons déterminés à recevoir de lui et de son Eglise la sainteté ! Oui, vraiment, frères et sœurs, apprenons toujours plus à vivre l’ordinaire de nos vies, chaque journée, en cherchant à aimer Dieu et notre prochain vraiment de toutes nos forces comme si je n’avais qu’aujourd’hui pour aimer.

Satan, de pleins de manières, essaye, de nous attiédir sur ce chemin de conversion. Au cœur de sa stratégie, cet ange déchu utilise la puissance d’aveuglement intrinsèque au péché. Car, oui, frères et sœurs, un aspect ordinaire du péché est qu’il nous aveugle, on pourrait dire qu’il anesthésie notre conscience pour mieux l’empoisonner. Et le mécanisme classique de ce chemin d’aveuglement, que, par expérience, je trouve tellement impressionnant : c’est de nous pousser à accuser l’autre plutôt qu’à nous remettre en question. Quel dommage : telle circonstance ou tel frère me donnait une occasion de conversion et j’en fait une occasion d’endurcissement, d’aveuglement ! Trop dommage !

Les textes que l’Eglise nous offre aujourd’hui, nous montrent combien accuser l’autre plutôt que de se remettre en question est un grand classique. Ainsi, en première lecture, nous avons entendu le chapitre 3 du livre de la Genèse où l’on voit qu’Adam accuse Eve qui accuse le serpent. Chacun se renvoie la balle plutôt que de reconnaître humblement son péché devant Dieu dont la joie est justement de nous pardonner.

Trop souvent, par tiédeur d’âme, ne prenant pas assez au sérieux le danger que nous courrons par la force d’aveuglement du péché et, plus positivement, ne prenant pas assez au sérieux notre appel à chercher de toutes nos forces à laisser la grâce purifier notre coeur, nous ne discernons pas les multiples occasions que Dieu nous donne au quotidien de demander pardon, même pour des petites choses…petites choses essentielles à dépister dans nos vies car c’est à force de péchés véniels qu’on tombe dans le péché mortel…péché mortel, heureusement, également pleinement pardonnable par Dieu !…Mais ne jouons pas avec le feu et notamment avec le risque, à force d’endurcissement, d’aller jusqu’à perdre l’espérance dans le fait que Dieu veut et peut tout me pardonner, extrémité terrible qu’on appelle le péché contre l’Esprit Saint qui consiste à refuser librement le pardon de Dieu, pardon pourtant gratuit et illimité.

L’évangile d’aujourd’hui nous montre aussi combien on s’aveugle au quotidien en laissant libre cours à l’esprit d’accusation : les proches de Jésus, ceux qui le connaissent bien, à un moment, mystérieusement, ne le comprennent plus et alors, plutôt que de se remettre personnellement en cause, choisissent la facilité en accusant Jésus, allant jusqu’à dire : « il a perdu la tête ». Plus c’est gros plus ca passe ! Et, toujours dans l’évangile d’aujourd’hui, on voit les scribes, donc des gens qui connaissent très bien la loi de Dieu et qui, formellement du moins, la mettent en pratique, rencontrent Jésus et non seulement n’arrivent pas à reconnaître que c’est bien lui le Messie tant attendu, mais en plus ils accusent Jésus…de quoi ?…d’être possédé ! Enorme !

Ca peut paraître incroyable…Et c’est pourtant un grand classique du combat spirituel d’à partir de telle ou telle raison accuser l’autre…plutôt que de se remettre en cause comme le fait celui qui est animé d’un désir permanent de purifier son cœur pour tendre vers la magnifique béatitude : « Heureux les cœurs purs, ils verront Dieu »…plutôt que de rester dans l’aveuglement mortifère du péché. Oui, frères et sœurs, l’intensité du combat en nous et autour de nous est tel que nous n’avons pas d’autres choix que d’être déterminés à nous convertir, à devenir des saints, ce qui, comme le dit souvent notre évêque est le cœur même de la mission : c’est à mesure de ma sainteté que je suis disciple missionnaire ! C’est bien plus par notre sanctification quotidienne que par telle ou telle nouvelle méthode ou nouvelle structure que nous aiderons effectivement nos contemporains à reconnaître la splendeur de la Vérité que sont le Christ et l’Eglise. Pour le dire encore autrement, la parole de Jésus : « Convertissez vous et croyez à l’évangile » s’adresse d’abord à moi !

Dans ce deuxième et dernier temps d’homélie, je voudrais vous lire une perle de théologie spirituelle que l’Eglise nous offrait mardi dernier dans l’office des lectures du bréviaire. Cette perle que je vais vous offrir vient de saint Dorothée de Gaza, moine qui vécu dans cette partie de terre sainte désormais tristement connue, Gaza. Saint Dorothée naitra vers l’an 500, c’est à dire environ un siècle après la mort de saint Martin.

D’une certaine manière, tout ce que je vous ai dit jusqu’à maintenant dans cette homélie a pour but de vous aider à recevoir avec force la puissante méditation de saint Dorothée que je m’apprête à vous lire. Avant cela, je vous donne deux clefs pour éviter des incompréhensions en écoutant ce texte.

Vous allez l’entendre saint Dorothée insiste sur l’importance de l’accusation de soi. Comprenons nous bien, ce n’est pas au sens de « mépris de soi » mais au sens d’avoir un tel désir de pureté de cœur que, sans tomber dans le scrupule, nous cherchons ce qui en nous a encore besoin d’être purifié. C’est tout à fait dans le sens du psaume 18, 13-14 : « Qui peut discerner ses erreurs ? Purifie-moi de celles qui m’échappent. Préserve aussi ton serviteur de l’orgueil : qu’il n’ait sur moi aucune emprise ». Bref, quant Dorothée de Gaza parle d’accusation de soi, c’est au sens d’avoir le désir d’un cœur plus pur pour mieux aimer Dieu et donc, car c’est indissociable, mieux s’aimer et mieux aimer ses frères.

Enfin, dernière précaution avant de vous lire cette magnifique méditation : ce n’est pas parce que ce texte prend l’axe de l’accusation de soi en toutes circonstances, que, pour autant, il nierait l’importance de faire la vérité sur les torts subit quitte même parfois, à aller en justice. L’un n’empêche pas l’autre, simplement la question de la justice et de la vérité liée au pardon n’est pas l’axe de cette méditation qui, elle, prend l’axe de savoir profiter de toute occasion ordinaire pour se convertir.

Bref, maintenant, frères et sœurs, avec un cœur simple, osons maintenant laisser ce texte éclairer nos consciences et nous pousser à la conversion. D’ailleurs, pour encore mieux disposer nos coeurs, on va demander de l’aide à la Vierge Marie :

Celui qui s’accuse soi-même, quelle joie, quel repos il possède, partout où il va ! Qu’une peine, qu’un outrage, qu’une épreuve quelconque lui survienne, il juge d’avance qu’il en est digne et il n’est jamais troublé. Y a-t-il un état qui soit davantage exempt de soucis ?

Mais, dira-t-on, si un frère me tourmente, et qu’en m’examinant je constate que je ne lui en ai fourni aucun prétexte, comment pourrai-je m’accuser moi-même? En fait, si quelqu’un s’examine avec crainte de Dieu, il découvrira qu’il a certainement donné un motif de reproche par une action, une parole, ou une attitude.

Et s’il voit qu’en rien de tout cela il n’a, soi-disant, donné aucun motif d’hostilité pour le présent, c’est vraisemblablement qu’il a tourmenté ce frère une autre fois, pour le même sujet ou pour un autre, ou bien encore parce qu’il a tourmenté une autre fois un autre frère. Et c’est pour cela, parfois même pour une autre faute, qu’il devait souffrir ainsi.

Il arrive aussi qu’un frère, se croyant installé dans la paix et la tranquillité, lorsqu’on lui dit une parole pénible, soit plongé dans le trouble. Et il juge qu’il a raison de s’affliger, se disant en lui-même : « Si untel n’était pas venu me parler et me troubler, je n’aurais pas péché. »

C’est une illusion, c’est un faux raisonnement. Celui qui lui a dit cette parole, y a-t-il introduit la passion ? Non ! Il lui a révélé la passion qui était en lui, afin qu’il s’en repente, s’il le veut. Ainsi, ce frère au raisonnement biaisé était pareil à un pain de pur froment, d’apparence brillante, mais qui, une fois rompu, fait voir sa corruption. Il était installé dans la paix, croyait-il, mais il avait au-dedans de lui une passion qu’il ignorait. Qu’un frère lui dise une seule parole, et aussitôt a jailli la corruption qui était cachée en lui. S’il veut obtenir miséricorde, qu’il se repente, qu’il se purifie, qu’il progresse, et il verra qu’il devra plutôt remercier son frère d’avoir été pour lui la cause d’un tel profit. En effet, les épreuves ne l’accableront plus autant. Plus il progressera, plus elles lui paraîtront légères. À mesure en effet que l’âme progresse, elle se fortifie et devient capable de supporter tout ce qui lui arrive.