Voici l’homélie du vendredi Saint 2024 proposé par le Père Josselin.

Je voudrais vous parler ce soir du mystère aussi important que délicat qu’est la façon dont
amour et souffrances s’entremêlent ici bas. Il faudrait des heures pour en parler, je vais
essayer d’en donner quelques éléments de compréhension en seulement une dizaine de
minutes car ce thème touche au cœur même du mystère de l’amour concret ici bas.


Dieu, c’est à dire l’Amour en personne vient sur terre et il souffre…ce qui n’est absolument
pas normal car la souffrance est liée au mal, or Dieu n’est que bonté. Oui, frères et sœurs, il
est essentiel de nous rappeler régulièrement qu’il n’y a en Dieu ni mal, ni mort, ni souffrance.
Dieu n’est que bonté et vie, il ne veut jamais la souffrance, jamais. C’est essentiel de se le
rappeler car notamment quant la souffrance nous touche plus directement, il peut arriver que
nous ayons de fortes tentations contre cette vérité centrale de notre foi : Dieu ne veut ni la
mort ni la souffrance.

Et c’est donc un grand mystère que Dieu, tout amour, toute pureté, toute justice toute
innocence, vienne sur terre et souffre. Mais c’est ainsi, c’est historique et, j’insiste, cela est dû
non pas à je ne sais quelle connivence entre Dieu et la souffrance, mais c’est parce que Dieu a
voulu prendre sur lui le mal et ses conséquences que sont la souffrance et la mort.

La meilleure clef que je connaisse pour approcher un peu ce mystère avec nos pauvres mots,
notre pauvre compréhension humaine, je la dois à un poète et théologie du 20ième siècles, qui
s’appelle Paul Claudel qui nous éclaire ainsi, je le cite : « Dieu n’est pas venu supprimer la
souffrance, il n’est même pas venu l’expliquer, mais il est venu la remplir de sa présence ».

Cette réalité mystérieuse a plein de conséquences positives pour nous. Je voudrais dans cette
homélie en développer seulement deux, pour nous aider à mieux remercier Dieu d’avoir
connu pour nous ce qui lui était absolument contraire, à savoir la souffrance et la mort.

Première conséquence : Depuis que Dieu est venu sur terre, a connu la souffrance, est mort et
ressuscité…et bien, désormais, je suis aidé par lui dans ma souffrance…Désormais, je suis
aidé par Dieu dans ma souffrance…

Je m’explique. Quant Jésus souffrait, il connaissait toutes les souffrances de tous les hommes
de tous les temps. Jésus n’avait pas la foi, il avait la vision béatifique. Certes Jésus s’est fait
homme, il a vraiment souffert mais tout en restant Dieu et donc, il y a 2000 ans, il voyait et
souffrait de toutes les souffrances de tous les hommes de tous les temps.

Autrement dit, à chaque fois que je souffre, Dieu souffre avec moi, d’une certaine manière,
« physiquement ». Il est à mes coté. Je ne le vois pas mais je sais qu’il est là, je choisis de le
croire. Jésus souffre avec moi car il compatit. C’est le sens même du mot compatir qui veut
dire « souffrir avec ». Retenons bien le sens réel de ce mot de compatir car il n’y a pas de plus
grand amour que de compatir avec quelqu’un. Je t’aime tellement que je souffre avec toi. Je
n’aime pas la souffrance, mais je t’aime, alors j’accepte une part de souffrance avec toi.

Heureusement que Dieu n’a pas fuit la souffrance en se disant : « non, là ça fait trop de
souffrance, je reste dans mon ciel, je les laisse se débrouiller, après tout ils n’avaient qu’à pas
faire n’importe quoi ». Voilà un raisonnement trop humain, en tout cas, pas assez divin.
J’insiste, Dieu est descendu sur terre pour souffrir avec nous. Donc à chaque fois que je suis
en souffrance, petite ou grande, à chaque fois que je suis tenté de me décourager ou de
m’isoler, je peux me rappeler qu’en réalité, je ne suis pas seul, Jésus souffre avec moi. Et
prenant conscience de cela, je peux trouver la force de sortir de mon découragement et de
mon isolement en osant demander une aide à telle ou telle personne de confiance.

Dieu souffre avec moi, mais il souffre aussi pour moi et en moi. Qu’est-ce que cela veut dire ?
Cela veut dire que, parce que Jésus a souffert, maintenant, j’ai la grâce de supporter toute
forme d’épreuve.

Oui, frères et sœurs, demandons la grâce d’avoir toujours plus conscience que quelques soient
les souffrances que je vis ou que j’aurais à vivre, j’aurais toujours la grâce de porter, de
supporter mes souffrances. A chaque instant, Jésus nous dit « venez à moi vous tous qui
peinez et ployer sous le poids du fardeau et moi je vous procurerai la paix ».

Oui, vraiment, le Seigneur veut donner de la paix, de la force, de la lumière dans nos
épreuves. Donc je ne suis vraiment pas seul : non seulement Jésus est là comme un frère qui
souffre avec moi quant bien même, d’ailleurs, peut-être, il souffre aussi à cause de moi, mais
voilà Dieu aime sans limite, il pardonne sans cesse car il est principalement compassion
envers moi. Donc même si Dieu souffre à cause de moi, il souffre surtout avec moi comme un
frère…et Dieu est aussi en moi par son Esprit Saint qui me permet de supporter toute épreuve.

Toutefois, la grâce n’a rien de magique. Ce n’est pas parce que Dieu me donne une
surabondance de grâces pour supporter l’épreuve que j’arriverai effectivement à la
supporter…iI n’y a qu’à voir les 12 apôtres, si proches de Jésus, tellement privilégiés dans
leur amitié à Dieu…et qui, pourtant, à l’heure de la croix, vont tous reniés Jésus, à part saint
Jean et quelques femmes. Ils ont considérés que c’était trop de souffrance, ils ont mis une
limite subjective à l’objectivité de la grâce et, au bout du compte, ils ont reniés Jésus.

Je ne dis pas cela pour nous décourager mais pour nous garder dans l’humilité, excellente
vertu pour laisser au maximum la grâce agir en nous. Ne jugeons pas ceux qui souffrent, ni
même ceux qui font du mal. Bien sûr, avec prudence et discernement, on peut juger le mal
mais on ne peut jamais juger la personne qui fait du mal. Moi, quant je vois quelqu’un faire
n’importe quoi, j’ai une partie de moi qui me garde dans l’humilité en me disant : « mais toi,
Josselin, si tu étais dans la même galère extérieure et/ou intérieure que cette personne, qui sait
si tu ne ferais pas pire encore ? Tu ne connais pas son cœur, tu ne connais pas son histoire, tu
ne connais pas toutes ses blessures cachées…qui sait si toi tu ne renierais pas Jésus encore
plus vite que lui si tu étais à sa place». Vraiment frères et sœurs, ne nous enorgueillissons pas
si, pour l’instant, nous avons eu la grâce de tenir bon dans la souffrance.

J’insiste, la grâce n’est pas magique, elle est là comme une aide intérieure qui va me donner
lumière et force, mais c’est à moi d’agir, à moi d’aller, de toutes mes forces, chaque jour,
puiser de quoi tenir bon à l’heure de l’épreuve dans mes facultés, dans mon corps, dans mon
psychisme, mon affectivité, dans ma mémoire, dans mon intelligence, dans ma volonté. Dieu
va me donner la grâce, mais, d’une certaine manière ce n’est jamais gagner, c’est un vrai
combat d’amour auquel je suis confronté : est-ce que je vais garder la confiance, la fidélité
alors que c’est difficile en ce moment. Comme disais mère Térésa : la vie est un combat,
mène le !

Je vous donne deux témoignages courts pour essayer de bien vous transmettre ce que j’essaye
de vous exprimer.

Le premier est celui d’une jeune femme rwandaise qui avait connu les horreurs du génocide.
Un jour, un prêtre français de passage au Rwanda la rencontre, entend son témoignage
douloureux et lui demande : « mais comment as tu fait pour garder la confiance en Dieu dans
un tel enfer ? » La réponse de cette jeune femme fut lumineuse : « Mais Dieu est le seul qui
ne m’ait jamais fait de mal », « Dieu est le seul qui ne m’ait jamais fait de mal »

L’autre témoignage est également celui d’un rwandais, Jean-Marie, qui a écrit le livre
magnifique que je vous conseille : « les rescapés de Kigali » qui montre jusqu’où va la
puissance de la grâce en nous, même et surtout si nous sommes confrontés à des extrêmes
comme un génocide. Bref, Jean-Marie, vit une scène folle où il se retrouve avec sa femme et
ses deux enfants sur un peloton d’exécution. Il vient de voir son bourreau tuer plusieurs de ses
amis. Il a donc, je dirais, très naturellement, une haine profonde qui monte en lui pour ce
tortionnaire. Identifiant cette haine en lui et voyant que, selon toute probabilité, il va mourir
dans quelques minutes, il se dit « mais, moi je veux entrer au ciel or, là j’ai de la haine…et en
même temps, Seigneur, je suis incapable d’aimer cet homme, viens, Seigneur m’aider à lui
pardonner ». Et Jean Marie témoigne que, quelques minutes après, il a senti une grande
compassion monter en lui pour cet homme…et il a donc choisit de lui pardonner…et comme
l’amour est une réalité extrêmement puissante, cet acte de Jean Marie a changé le cœur de ce
tortionnaire qui les a laissé partir lui, sa femme et ses 2 filles. Ce témoignage est très
intéressant car il montre l’humilité de Jean Marie qui fait la vérité sur le mal en lui, sa volonté
de ne pas se compromettre avec le mal et son espérance que Dieu peut l’aider même et surtout
dans une situation si extrême. Et, ayons conscience que même lorsqu’il a senti qu’il recevait
la force de pardonner, Jean-Marie, a accepté ce pardon qui montait en lui. Jusqu’au dernier
moment, il aurait pu refuser librement la grâce qui lui était faite. Heureusement, digne
catholique, il était déterminé, à n’avoir aucune compromission avec l’esprit de haine ou de
vengeance.

Frères et sœurs, avez vous retenu la citation de Paul Claudel que je vous donnais en début
d’homélie ? Je vous la redonne : « Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance, il n’est même
pas venu l’expliquer, mais il est venu la remplir de sa présence ». Je viens de développer une
première conséquence de ce mystère, à savoir que, désormais, je suis pleinement aidé par
Dieu dans ma souffrance.

Je voudrais maintenant, plus rapidement, développer une seconde conséquence essentielle
pour vraiment aimer ici bas : c’est que, ici bas, amour et souffrance sont indissociables.

Alors, là encore, comprenons nous bien, je ne suis pas en train de dire qu’il est bon de
souffrir. Non, nous ne sommes pas faits pour souffrir et, d’ailleurs, Jésus lui même a supplié
son Père de ne pas trop souffrir. Nous l’avons entendu en ce soir dans la lecture juste avant
l’évangile : « Le Christ, pendant les jours de sa vie dans la chair, offrit avec un grand cri et
dans les larmes, des prières et des supplications à Dieu qui pouvait le sauver de la mort ».
Bref, la souffrance est une réalité mauvaise, point finale…mais la réalité de notre condition
humaine est que le mal est tellement présent ici bas, en nous et autour de nous, que, dans la
réalité, souffrance et amour sont toujours mêlées.

Par exemple, je ne vous apprends rien en vous disant que ce sont ceux que nous aimons le plus
qui peuvent nous faire le plus souffrir. Recevoir une parole méchante d’un inconnu, ça peut
faire mal mais ça va vite passer. Par contre, recevoir une parole méchante d’un ami, d’un
frère, d’un parent, ça peut nous faire beaucoup plus de mal. C’est la raison pour laquelle il
nous faut d’autant plus être délicat envers nos plus proches. Mais, dans les faits, on a tous
bien du mal, moi le premier, à vivre pleinement la patience et la douceur qu’est l’amour, tant
et si bien que la forme habituelle de l’amour ici bas, c’est le pardon. Aimer ici bas, c’est
concrètement beaucoup et souvent pardonner, il n’y pas d’autres chemins !

Et le grand combat qu’on a tous à mener ici bas que ce soit autour de l’enjeu du pardon
qu’autour, plus largement de l’enjeu de la compassion, c’est qu’on est tous tenter de mettre
une limite à l’amour en mettant une limite à la souffrance. On se dit « aimer ? Avec joie !
Souffrir ? OK mais pas trop ». Or, d’une certaine manière, refuser de souffrir, c’est
s’empêcher d’aimer.

Je m’explique : il y a dans notre culture individualiste et hédoniste actuelle, un mensonge très
efficace qui nous imprègne tous, à savoir : « moins je souffrirais, plus je serais heureux ». Ce
mensonge est facile à dénoncer car je pense que, tous, nous connaissons des gens souffrants
mais qui, pourtant, son profondément heureux : ils sont en paix et rayonnent d’amour et, à
l’inverse, on connait des gens qui ne souffrent pas : ils sont en bonne santé, ils ont une belle
maison, plein de confort et tout…et pourtant, on les sent malheureux.

Vous voyez, l’équation : « moins je souffre plus je serais heureux » est vraiment trop courte
et, au bout du compte mensongère. Elle mène, en réalité, à ne plus accepter de compatir, c’est
à dire de souffrir avec mon frère, ce qui est la forme normale, habituelle de l’amour concret
ici bas. Cette peur excessive de souffrir et donc de compatir et donc d’aimer dans le réel de
nos vies terrestres mène au refroidissement de l’amour prophétisé par Jésus en Matthieu 24,
12. Je vous cite cette Parole de Dieu « A cause de l’ampleur du mal, la charité de la plupart
des hommes se refroidira ». Voilà ce que donne concrètement ce refus de souffrir qui nous
concerne tous d’une manière ou d’une autre. Par exemple, on se dit que souffrir avec l’enfant
à naitre diagnostiqué handicapé sera trop dur à vivre et pour moi et pour lui…et donc je
choisis d’avorter…d’ailleurs, j’avorte aussi, non pour raisons de handicap, mais parce que
cette grossesse inattendue va trop bouleverser mes projets, donc trop de contraintes, donc trop
de souffrance, donc j’avorte. C’est dire la violence qu’il y a à mesure qu’on entre dans le
refus de cette réalité que Jésus dit par toute sa vie, à savoir qu’ici bas, souffrance et amour
sont indissociables. Nier cette réalité, c’est, in fine, ajouter encore plus de souffrance à la
souffrance, plutôt que d’y ajouter de l’amour et donc d’atténuer cette souffrance.

Même principe de fond avec l’euthanasie : c’est trop dur de voir ma maman qui perd la tête,
donc, je me persuade que, pour son bien et pour mon bien, mieux vaut l’euthanasier, c’est à
dire la tuer. Et, comme pour l’avortement, une fois que l’homme s’accorde la toute puissance
sur le mystère de la vie, les pires horreurs deviennent possibles, parfois au nom même,
radicalement dévoyé, de la compassion et de la fraternité, je me donne l’autorisation de
tuer…ou de laisser légalement quelqu’un se tuer par suicide assisté comme, par exemple, la
personne âgée qui va très bien mais qui ne veut pas connaître les souffrances de la vieillesse.

Comme je le disais déjà dans cette homélie, en disant cela, je ne juge personne et je ne
prétends même pas que, moi même, je ne serais pas un jour tenté de demander l’euthanasie.
Qui sais comment je réagirais à l’heure de la croix ? D’ailleurs pour nous qui sommes sans
doute un peu plus conscient que la moyenne des français sur la gravité de la culture de mort, il
se peut que notre propre refus de trop souffrir nous piège nous aussi, mais ailleurs, par
exemple, dans un manque d’engagement social auprès de ceux qui souffrent et qui, si je
m’approche trop d’eux, risquent de me faire souffrir ou, tout du moins, d’un peu trop remettre
en cause mes projets, mon confort ou mon équilibre de vie si bien maitrisé…plutôt
qu’abandonné à la grâce qui a l’art de me déstabiliser.

Oui, frères et sœurs, nous aussi, moi le premier, sommes pris dans cette peur de souffrir qui
freine tellement notre capacité d’aimer…Alors, ce soir, ensemble, remercions Dieu d’avoir
connu la souffrance pour nous délivrer de sa logique mortifère, et supplions Dieu de nous
donner plus de force et de courage, plus d’humilité et de patience pour que nous mettions
toujours moins de limites à l’amour…en tout cas, choisissons que ce soit toujours moins notre
peur de souffrir que notre désir de répondre à l’amour infini de Jésus qui anime nos choix
petits et grands dans le souffle de l’Esprit Saint. Amen !